29 juin 2012

Dans la rue... Boyer, Montréal

30 mai 2012
30 mai 2012




Le téléphone sonne, je jette un coup d'oeil au numéro qui s'affiche. Je me demande si je vais regretter celui que j’ai laissé là avec son silence qui menace de le tuer et que peut-être ce n’est pas du tout ça mais je n’ai pas osé lui demander, regretter tous ceux à qui je n’ai jamais demandé les raisons de leur silence, et tous ceux à qui je n'ai rien dit.



Le téléphone sonne, mais je ne réponds pas. Je scrute les petites tâches qui parsèment les photos accumulées sur mon ordinateur. Je pense qu’on peut se lever tous les matins, manger, parler, sourire, et être mort quand même. Le téléphone sonne, je pense que je ne veux pas le quotidien qui s’effrite, les yeux qui cherchent par la fenêtre, les caresses à l’eau de javel, et bientôt on parle sans s’écouter, de ta journée et de la mienne, comme des agendas, avec des heures en début de phrases et une liste d’activités en point de forme.



17 juin 2012

Dans la rue... Bellechasse, Montréal

22 février 2012

Elle porte des chaussures roses, surmontées d'un noeud bleu, dont le claquement qu'elles provoquent chaque fois qu'elles cognent le sol devraient conférer à l'ensemble une allure féminine.

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Elle ne prend plus de café - même pas le matin-, et se sent beaucoup mieux. Mais elle n'a pas trouvé encore la boisson chaude, stimulante, qui ait pu remplacer, en offrant autant de plaisir, ce préambule matinal. Alors elle le saute.

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Quand elle mange, elle engouffre parfois toute son assiette en deux bouchées, et continue de racler de la fourchette les quelques traces de sauces restant parce que son cerveau, dupé par la rapidité de la manoeuvre, n'a pas encore pu lui envoyer un message de satiété.

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À la maison, elle ne triture pas ses lèvres en parlant comme elle le fait à l'extérieur.

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Elle raconte des choses qui ne l'intéressent pas mais qu'il écoute en attendant son tour, comme si c'était un mal nécessaire. Quand elle ne finit pas ses phrases, il se sent escroqué, parce qu'il reste là, pendu à une suite de mots qui n'arrivent pas, alors qu'il aurait pu très bien consacrer ces quelques secondes à quelque chose de plus intéressant.

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Quand on sonne à la porte, elle se regarde dans la glace et se recoiffe avant d'ouvrir. Parfois, elle lui dit «Ouvre, toi. Je peux pas me montrer aux autres dans cette tenue-là». Alors lui, il est quoi, hein, s'il n'est pas les autres? La prolongation de son corps à elle? Un objet inanimé? Elle dit: toi, c'est pas pareil, toi je t'aime.

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Parce que l'histoire s'écrit tous les jours sans qu'on y prête attention, il ne faut pas négliger les menus détails du quotidien.

14 juin 2012

Dans la rue... Henri Julien, Montréal

13 mai 2012



Je dévisage Lublo pendant qu’il n’a d’yeux que pour son entrecôte-frites. Je ne lui ai jamais dit à quel point il me fait penser à mon père. La plupart du temps, dès que cette impression m’effleure, je la renfonce bien au fond de l’estomac et j’avale une bonne gorgée de vin.

- T’as pas l’impression qu’on s’écoute plus, Pablo ?
- Hello, moi c’est Lublo. Pablo, c’était ton père. Merci de la comparaison !

Au lieu de découper ma viande, je décortique des morceaux de mon père dans l’image de Lublo. Il sent que l’humeur est électrique, fait tout ce qu’il peut pour ne pas rencontrer mon regard-scalpel et raconte des anecdotes qui m’auraient fait bâiller si je ne mourais pas d’envie de lui faire une scène. Une scène à cause de ce blablabla craintif, justement. Une scène à cause de ce corps fluet qui me rappelle celui que ma mère n’a osé quitter qu’au bout de vingt longues années, vieillie avant l’âge de n’avoir jamais pu être quelqu’un d’autre pour son époux qu’une mère. Une scène à cause de ses cheveux trop blonds et trop fins pour que nos futurs enfants aient une chance de ne pas me ressembler. Une scène, fantastique, désespérée, à cause de ce silence qui va le tuer, comme mon père, l’étouffer dans cette bile qu’il refuse de reconnaître en lui, à cause de cette carapace qu’il brandit comme une armure alors que c’est un tombeau.

- Qu’est-ce que tu dirais si j’étais enceinte ?

Lublo est un peu méfiant, très silencieux. Il doit croire que j’ai la mauvaise foi des mauvais jours, et slalome autour de mes questions tendues, béantes, comme des pièges. 

- T’en aurais rien à foutre, hein!
- Oui, oui, bien sûr, j’en aurais rien à foutre, c’est ça.
- Avant, t’aurais sûrement pas réagi comme ça.

Lublo découpe son entrecôte, en attrape un bon gros morceau avec sa fourchette, pique quelques frites par-dessus, trempe l’ensemble dans la mayonnaise et descend le visage à hauteur des verres en ouvrant grand la bouche pour y enfourner sa livraison spéciale.

- Avant quoi ?